Comment tout peut s’éffondrer, conférence de Pablo Servigne

octobre 2016conférence : comment tout peut s'éffondrer ?
octobre 2016conférence : comment tout peut s’éffondrer ?

Tout va-t-il vraiment s’effronder ?

Conférence de Pablo Servigne   19 octobre 2015

Jeune chercheur transdisciplinaire, Pablo Servigne nous a démontré en toute simplicité et avec lucidité que la convergence et la magnitude des crises demandent à chacun d’entre nous de regarder l’avenir post-industriel en face.

La sécurité alimentaire en Europe dépend aujourd’hui du système industriel. Mais le pic pétrolier signe la fin des systèmes alimentaires industriels, puisque liés à notre dépendance et consommation massive d’énergies fossiles.

Il reste beaucoup de réserves de pétrole dans les sous-sols, mais on n’arrivera jamais à l’extraire, car il faut de l’énergie. Et l’investissement dépend du taux de retour énergétique. C’est-à-dire qu’en 1900, il fallait un baril de pétrole pour en tirer 99, ce qui donne un taux de 1/100. En  1990, le taux est de 1/35 et en 2007, le taux est de 1/12. La diminution est non linéaire, et donc s’accélère. Dans un avenir proche, c’est le phosphore et les autres métaux précieux qui vont arriver à leur pic.

Les premiers fondements de sa réflexion se trouvent dans son livre : Pablo Servigne, Nourrir l’Europe en temps de crise, Nature et progrès, 2014

Est-ce que nous fonçons droit dans le mur ? En fait, c’est le réservoir de la voiture qui est presque vide. L’approvisionnement énergétique est lié au système financier, comme une  courroie de distribution entre l’énergie et l’économie.

En étudiant minutieusement la littérature scientifique, Pablo Servigne et Raphaël Stevens ont pris conscience, face aux chiffres, que l’effondrement de notre civilisation industrielle était proche, et deviennent ainsi les premiers guides de la collapsologie.

Leur synthèse transdisciplinaire se retrouve dans l’ouvrage suivant : Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer ? Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Seuil, 2015

Lorsque la majorité de la population n’a plus de lien direct avec le système-Terre (la terre, l’eau, le bois, les plantes, etc.), celle-ci devient entièrement dépendante de la structure artificielle qui la maintient dans cet état. Et si cette structure, de plus en plus puissante mais jamais aussi vulnérable, s’écroule, c’est la survie de l’ensemble de la population qui pourrait ne plus être assurée.

Les limites et les frontières

Et nous touchons les limites de la puissance thermo-industrielle. Nous avons brûlé le pétrole en 150 ans. La planète envoie des signaux que le climat est déréglé : destruction d’un tiers  des espèces, des habitats, des terres arables. Il y a une accélération : nous arrivons à une époque « anthropocène » en sortant de l’« ollocène » qui a duré 10-12000 ans, dont la stabilité du climat a permis la sédentarisation et la civilisation.

Sortis des conditions de stabilité, les êtres humains sont entrés dans l’ère des limites et des frontières. Les limites, ce sont les murs thermodynamiques, et les frontières, lorsqu’on les dépasse, il y a un risque de tout bouleverser. Mais la société continue d’accélérer malgré les avertissements et dépasse les seuils.

Les crises sont interconnectées (climat, écosystème, économie) et provoquent ainsi un effet domino qui déstabilise rapidement et globalement l’ensemble du système.

En 1972, le rapport Meadows est publié sur « les limites à la croissance ». En 2012, une nouvelle édition traduite en français est publiée. L’expert y construit un modèle systémique et complexe du monde avec un graphique de données réelles sur 40 ans : épuisement des ressources, population, pollution, production des services, production agricole. On sent les exponentielles arriver. En appuyant sur « enter », la simulation de l’avenir de la civilisation apparaît. Les 40 ans d’années réelles collent assez bien à la réalité malheureusement. La suite ?

Entre 2000 et 2050, c’est l’effondrement de la puissance du thermo industriel : la fin du pétrole et du même coup la fin de la pollution. La population humaine globale diminue après 2030 également. Ce qui contredit le chiffre que nous serons 9 milliards en 2050 (extrapolation entre les taux de natalité, mortalité, migrations).

Dans un système instable, on reconnaît que :

  1. Il n’y a plus de croissance possible
  2. Nous avons altéré le système terre de manière irréversible
  3. L’avenir est instable, non linéaire, complexe, ce qui peut provoquer des perturbations au niveau mondial (effet papillon)
  4. Il y a un effondrement potentiel du système global

D’autres civilisations se sont effondrées dans le passé : l’île de Pâques, les Mayas, les Romains, l’URSS… à des vitesses d’effondrement différentes.

5 stades peuvent être observés :

– La finance et par contagion l’économie
– La politique : perte de confiance en la macro structure
-Le social : retour aux tribus
– La culture : perte de l’empathie
– L’écologie

De la tête au cœur

La mosaïque de l’effondrement, comment en parler ? Quelle politique de transition ? Quelle agriculture post-pétrole ? Voir, croire, accepter, imaginer. Il nous faut accueillir les émotions et parler au cœur et aux tripes.

C’est comme les stades des deuils : chacun doit passer du déni, à la colère (devant l’inévitable), à la peur (face aux accidents nucléaires potentiels), à la tristesse (de la perte d’une grande partie de la biodiversité) et enfin à l’acceptation.

Accepter est la première étape. Faire le deuil d’un avenir imaginé, d’images cultivées. Accepter l’effondrement de notre manière d’être au monde. L’utopie est de croire que tout peut continuer comme avant. Mais comment imaginer ce qui nous dépasse, que nous n’arrivons pas à maitriser ? La voiture dévale la pente, il n’y a bientôt plus d’essence.

Croire qu’il y aura des alternatives en matière énergétique, une autre source d’énergie ? C’est encore une manière de croire et de nourrir un mythe ! Quid de l’avenir alors ? Il y a ceux qui croient que la science va nous sauver, à la conquête de nouvelles planètes, avec des images de Star Wars ou Star Trek, et d’autres inversement, qui projettent la vision apocalyptique, celle de Mad Max. Nourris d’imaginaires hollywoodiens, comment imaginer d’autres scénarios ? Entre les extrêmes, il y a ceux qui croient à la stabilité techno-écologique (Développement Durable) et ceux qui voient la descente énergétique comme une opportunité (le monde de la permaculture par exemple).

De la croissance à la résilience

L’effondrement promet aussi des bonnes surprises au niveau social. A l’instar d’autres catastrophes peuvent naître la solidarité, l’entraide, l’auto-organisation, le calme. Cela contredit, ou étonne peut-être, le mythe fondateur des humains qui s’entretuent, la société libérale qui oppose depuis 400 ans les principes masculin/féminin, culture/nature, l’oppression patriarcale liée au capitalisme.

Les villes en transition, le concept de Rob Hopkins, est d’un catastrophisme positif. Tout est question de manière de voir les choses. En effet, on peut considérer que depuis le siècle des Lumières, on grimpe la côte, on maîtrise la nature, on devient surpuissant grâce aux énergies fossiles, on en arrive au pic pétrolier, et on va être obligé de décroître, de descendre, de se déplacer moins, de retisser des liens, de manger autrement. Si on retourne le dessin dans l’autre sens, on peut considérer qu’on a plongé dans les énergies fossiles, au fond du marasme, individualiste, et que l’après-pétrole nous permet de remonter au soleil, de respirer enfin à l’air libre ! C’est donc un travail de déconstruction, ou de recolonisation de l’imaginaire !

Pour un changement de paradigme, il nous faut créer des systèmes résilients décentralisés, inventer d’autres avenirs, accepter l’arbre qui s’effondre, ne pas essayer de l’empêcher de tomber, mais prendre soin de toutes les jeunes pousses diversifiées, peut-être encore fragiles, les mettre en réseaux, les bouturer. Des milliers de graines ont en effet déjà germé aux marges du système alimentaire industriel, des milliers d’expériences originales et alternatives fonctionnent déjà et se préparent à la période post-pétrole.

Le film “Beats of the Southern world” (Les bêtes du Sud sauvage) en est un bon exemple.

Pablo Servigne nous invite donc à adopter une posture de lucidité et à agir en conséquence. Le plus grand chantier est de penser les catastrophes autrement et d’explorer l’imaginaire, de mettre au monde le concept de Johanna Macy, l’« active hope », l’espoir aujourd’hui !

Le troisième livre de Pablo Servigne, Le Petit traité de résilience locale (Momentum, 2015) permet de plonger dans les nuances de ce concept et de prendre conscience que les stratégies de résilience encouragent le partage, la coopération, l’autonomie créatrice et l’imagination de tous les acteurs locaux.

Avançons ensemble, chacun dans sa voie, sa sensibilité, les yeux grands ouverts !